Oiseau-Lyre
Maja Haderlap - Engel des Vergessens.
Engel des Vergessens, l'ange de l'oubli ou comment en essayant d'étirer ses ailes sur le passé on peut réussir à pardonner.
Vous entrez ici dans un monde que vous ne soupçonniez pas, il est/était pourtant bien réel, celui des Slovènes d'Autriche... dont le destin bascule à la frontière de deux mondes auxquels on leur refuse l'appartenance.
Au delà de l'histoire de cette population dont un grand nombre, hommes, femmes, enfants, a été assassiné, déporté par les SS Allemands au cours de la deuxième guerre mondiale, c'est aussi la survivance de ces montagnards, cultivés, musiciens, qui travaillaient aux foins et à l'étable, leur survivance dans nos mémoires et dans la mémoire des sites auxquels ils appartiennent tout en entier que nous raconte Maja Haderlap.
Avec toute la finesse de sa poésie intérieure elle décrit des paysages, des hommes, des femmes, des enfants que je crois connaître et qui pourtant portaient un si lourd secret.
Une gorge dans la montage, une vallée encaissée où les fermes s'étagent, où des gouffres séparent des voisins qui se font face... Je sais qu'à mon prochain séjour là-bas, je porterai un autre regard sur ces lieux, ces sites, ces alpages et ces gens.
Un livre qui mériterait d'être traduit pour que la mémoire d'Europe ne s'oublie pas...
http://www.wallstein-verlag.de/9783835309531-maja-haderlap-engel-des-vergessens.html
Marianne (sept. 2013)
Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates (Editions NIL)
Si vous n'avez pas encore lu le livre c'est un crime!
Tout le monde connaît ces deux îles anglo-normandes à quelques encablures des côtes françaises. Et bien leurs habitants sont bien des anglais avec tous les travers et tous les traits d'humour qu'il se doit, du moins ce livre le confirme pour les habitants de Guernesey.
Une île sur laquelle débarquent un beau jour de 1940 les soldats allemands persuadés n'y faire qu'une halte provisoire avant la grande invasion. Un débarquement qui aura pour conséquence par contre de couper les habitants de tout contact avec le continent (voir même les continents). Coupés de toute source d'informations, repliés sur eux-mêmes pour survivre, en autarcie complète, ce qui sera également le lot des unités allemandes à la fin de la guerre. Contraints de ne pouvoir compter que sur eux-mêmes, les vivres et le matériel qu'ils pourront trouver chez eux, un petit nombre d'habitants sujets à la cruauté de l'armée d'invasion et de certains militaires zélés, vont devoir s'organiser pour éviter le pire: la déportation. Et c'est ainsi qu'une nuit est né le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, réunissant le fermier du coin, l'ébéniste, le poivrot, la vieille fille fofolle sooo British et une vieille dame anglaise, autour d'une héroïne, il en faut bien une, qui elle finira en déportation malgré son aventure avec un officier allemand.
Sous forme de lettres de ces gens là et d'autres "héros" ordinaires de Guernesey, Juliet, va retracer les 5 années d'occupation de l'île et la vie des habitants qui se nourrissaient faute de mieux d'épluchures de patates... comme si de rien était, et surtout avec ce léger humour si anglais...
Il y a de la compassion dans ce livre, de l'amour pour son prochain, de l'espoir de voir des jours meilleurs puisé dans le partage de la lecture (culture?), un profond respect pour toutes ces blessures de la guerre que l'on aurait tendance à oublier et pour tous ces écrivains, petits et grands, à côté desquels nous semblons passer... Ce n'est pas "poignant", c'est juste traité avec humour.
Et enfin, chose étrange, pourtant écrit par des américaines c'est un livre qui nous appartient, nous européens, le seul américain qui arpente les terres anglaises est un éditeur richissime qui débarque de son continent dans Londres réduite en poussière et ne semble pas avoir souffert de la guerre...
Moi j'ai aimé et je suis prête pour partir à Guernesey et manger des patates épluchées!
Marianne
Cochon d Allemand, de Knud Romer (éd. Folio)
C'est un miroir, le mien, et celui de ma mère. Il est dur. Il montre combien les hommes peuvent être durs avec l'étranger, l'autre, tout ce qui se rattache à lui, et donc même leurs enfants. Il montre combien l'intégration est difficile. C'est un livre d'immigrés, immigrés européens, immigrés voisins, allemands/danois. On n'y retrouve donc pas ces autres faces du rejet, le rejet de la couleur, le rejet racial, le rejet religieux, le rejet territorial (extra-continental). Se repose alors la question de l'intégration, celle qui n'est basée que sur le fait que l'on vient d'autre part et que l'on est autre.
Ma mère était une parisienne perdue dans la campagne bavaroise de l'après guerre, avec ses petites robes et ses talons aiguilles, alors que les femmes du village portaient collants de laine et gros godillots, bien mieux adaptés aux chemins enneigés, la mère de Knud, notre narrateur, était une "cochonne" d'allemande, avec son manteau de fourrure et ses airs bourgeois, perdue sur une île danoise de l'après-guerre où l'espace-temps s'est arrêté sur l'histoire, celle des allemands nazis, des danois résistants communistes, de sociétés qui agonisent alors que l'Europe se construit. ... Mais elles, malgré tout, l'amour les a portées, elles ont fait un choix, difficile, douloureux... Knut était enfant unique, nous nous étions quatre frères et sœurs à se serrer les coudes et à faire front dans les cours de récréation, et à se contenter de nous mêmes les après-midis d'hiver à la maison.
Et ne croyez pas que cela n'était qu'en Allemagne, "cochon d'allemand" mon père quand nous avons débarqué en France, salut hitlérien des camardes de collège, sales "Boch", sales "Fritz"... C'est juste parce que c'est tellement personnel que je ne sais même pas si cela mérite un post sur le blog.
Mais si vous avez une âme d'immigré en vous, ne serait-ce que régional, "Cochon d'allemand" permet de remettre les sentiments en place, et nous apprend que tout cela n'est qu'universel. Une belle page d'histoire de la société européenne.
Un grand merci à celui qui me l'a offert et qui me connait bien ;)
Marianne
Récits d un jeune médecin, de Mikhaïl Boulgakov (éd. Poche)
Boulgakov était effectivement médecin de formation et ses "Récits" sont une série de 4 nouvelles autobiographiques, des histoires toutes simples mais tellement dépaysantes (les fin-fonds de l'hiver russe juste après la révolution de 17) racontées dans un style merveilleusement léger et spirituel.
Ce jeune médecin moscovite frais émoulu de l'école se retrouve pour son premier poste dans une campagne arriérée à devoir couper des jambes et soigner des maladies inconnues avec pour seul soutien une équipe d'aide-soignants... et il y arrive !
Les thèmes de réflexion que Boulgakov nous propose sont pourtant graves (misère, maladies, drogue, guerre, sous-développement culturel et économique...) mais l'âme russe transforme tout en conte poushkinien !
Chaos calme, Sandro Veronesi (éd. Grasset)
J’ai terminé l’année par ce roman prêté par Christine, et j’ai vraiment été emportée par ce Chaos calme.
Pietro est une sorte d’homme idéal, lorsque le décès brutal de sa femme l’entraîne dans une posture mi-absurde mi-géniale : troublé de ne pas réellement souffrir, il passe ses journées dans sa voiture, sous les fenêtres de l’école de sa fille. S’en suit un défilé de proches, d’amis, de collègues qui viennent pour le réconforter ou pour comprendre, et repartent en ayant beaucoup appris sur eux mêmes ! L’habitacle de la voiture devient lieu de thérapie croisée, d’introversion, de prises de conscience qui vont bouleverser irrémédiablement leurs vies.
C’est tour à tour très drôle ou très émouvant, mais c’est surtout vraiment bien écrit : le roman commence par une scène tragi-comique de sauvetage en mer, franchement inoubliable et qui porte un souffle d’écriture rare.
Vivement le prochain !
Anne.